A l’échelle des atomes, les lois de la physique quantique régissent leur comportement, mais dans le monde macroscopique ces effets fascinants disparaissent, pour laisser place aux lois de la physique classique. Un des défis actuels est de repousser cette limite afin d’amener des objets, tels que des nanoparticules de silice comprenant un milliard d’atomes, dans un état où les effets quantiques sont observables. Cela ouvrirait la voie à l’étude de la transition entre le monde quantique et le monde classique [1]. Pour y parvenir, il faut tout d’abord isoler la nanoparticule, c’est-à-dire la découpler de son environnement, afin d’éviter la décohérence empêchant d’observer les phénomènes quantiques. Puis, il faut lui faire atteindre son état d’énergie le plus faible, l’état quantique fondamental, en stoppant son mouvement. Découplage d’une nanoparticule avec son environnement Envisager le découplage d’une nanoparticule de silice afin d’atteindre son état quantique fondamental, nous amène à l’imaginer, par exemple, en lévitation grâce à un faisceau laser, dans le vide. Cette situation semble venir tout droit d’un film de sciencefiction, et pourtant elle est aujourd’hui expérimentalement réalisable. La lévitation d’objets en interaction avec la lumière d’un faisceau laser prend sa source en 1970, grâce aux travaux d’A. Ashkin [2]. Le principe de pince optique qu’il introduit, repose sur l’existence d’une force optique, qui, à la manière d’un ressort, rappelle la nanoparticule vers les zones de plus forte intensité lumineuse. En pratique, on utilise une source laser émettant à la longueur d’onde λ = 1064 nm, dont le faisceau est fortement focalisé grâce à un objectif de microscope. Ce dernier crée une zone de forte intensité proche de son point focal, position autour de laquelle une nanoparticule est alors piégée. La lévitation permet ainsi d’éviter le couplage avec un support pour la nanoparticule. Tout cela se fait au sein d’une chambre à vide reliée à un système de pompes qui permet de faire le vide autour de la nanoparticule, en divisant la pression atmosphérique par 10 milliards. Elle ne subit donc pas les collisions avec des molécules de gaz environnant qui introduiraient de la décohérence.
FIGURE 1 – Photographie d’une pince optique sous vide a) Système de pompage permettant de faire le vide autour de la nanoparticule. b) Lumière diffusée par une nanoparticule piégée grâce au principe de pince optique.
La figure 1 représente une photographie de la chambre à vide au sein de laquelle se trouve une nanoparticule de silice de 156 nm de diamètre piégée au point focal de l’objectif et visible grâce à la lumière qu’elle diffuse, provenant d’une source laser de visualisation émettant à 532 nm. Diminuer l’amplitude des mouvements Bien que la nanoparticule soit découplée de son environnement, elle possède un mouvement d’oscillateur harmonique à trois dimensions. C’est-à-dire que son centre de masse oscille dans les trois directions de l’espace au sein d’un puits de potentiel, comme représenté pour l’axe x sur la figure 2.
FIGURE 2 – Principe du mouvement d’une nanoparticule au sein du puits de potentiel a) En l’absence de modulation du puits de potentiel, la nanoparticule oscille selon chacune des directions de l’espace, comme représenté selon la direction x. b) La modulation du puits de potentiel à la manière d’une balançoire permet de réduire l’amplitude des oscillations de la nanoparticule.
Pour diminuer l’amplitude des oscillations de la nanoparticule, une technique consiste à imiter le principe d’une balançoire, sur laquelle il faut bouger les jambes au bon moment, à deux fois sa fréquence d’oscillation afin d’augmenter l’amplitude de ses oscillations. Or, on peut faire la même chose, bouger les jambes au bon moment et à deux fois la fréquence d’oscillation, mais cette fois pour diminuer l’amplitude de ses mouvements. Du point de vue de la particule, la balançoire est le puits de potentiel dans lequel elle se trouve. Donc en modulant le puits de potentiel selon les mêmes critères, on peut diminuer l’amplitude de ses mouvements. Comme décrit sur la figure 2, lorsque la particule tend à s’éloigner du fond du puits, on augmente la raideur du puits et quand elle revient on relâche la raideur. Cette technique nous a permis de diminuer l’amplitude du mouvement de la nanoparticule selon chacun des axes, comme le montre la figure 3.
FIGURE 3 – Résultat de l’effet de la modulation du puits de potentiel Les densités spectrales de puissance, qui représentent le mouvement de la nanoparticule dans le domaine fréquentiel, montrent une diminution de l’amplitude des oscillations de la nanoparticule qui se traduit par une réduction de l’aire sous la courbe.
En effet, pour chaque axe x, y, z, illustrés respectivement en rouge, bleu et vert, on représente leur densité spectrale de puissance, qui traduit dans le domaine fréquentiel le mouvement de la nanoparticule et dont l’aire sous la courbe est reliée à l’amplitude des mouvements de la nanoparticule. On remarque alors qu’en présence de la modulation du puits de potentiel (ON), l’amplitude du mouvement du centre de masse de la nanoparticule est considérablement réduite par rapport au cas où on laisse la particule évoluer librement (OFF). Cela ouvre donc la voie à l’atteinte de son état quantique fondamental.
Conclusion
Finalement, une fois l’état quantique fondamental atteint pour des nanoparticules de silice, on pourrait envisager de tester des concepts de physique quantique tels que la superposition d’états. Ensuite, on peut même imaginer réaliser le même processus pour des organismes biologiques afin de tester les phénomènes quantiques, allant peut-être même jusqu’à reproduire l’expérience du chat de Schrödinger [3], à condition qu’il survive dans le vide.
[1] Carlos Gonzales-Ballestro, Markus Aspelmeyer, Lukas Novotny, Romain Quidant, and Oriol RomeroIsart. Levitodynamics : Levitation and control of microscopic objects in vacuum. Science, 374(6564), 2022.
[2] A. Ashkin. Acceleration and trapping of particles by radiation pressure. Phys. Rev. Lett., 24 :156, 1970.
[3] Oriol Romero-Isart, Mathieu L. Juan, Romain Quidant, and J. Ignacio Cirac. Toward quantum superposition of living organisms. 12(3) :033015.